Nikka Whisky From The Barrel

La bouteille à petit col.
Quand design et culture ne font qu’un.

Quel sujet de lancement choisir pour l’ouverture de ce site ?
Un whisky, un rhum, une distillerie…? Oui un whisky, mais lequel ?
Un whisky japonais bien sûr !
En fin de compte, je n’ai pas réfléchi trop longtemps car j’ai dans mes archives un sujet que j’ai laissé de côté depuis quelques années en attendant le moment opportun pour le publier.

Nikka Whisky From The Barrel : la bouteille à petit col.

nikka whisky from the barrel

Ce ne sera pas un énième commentaire de dégustation, rassurez-vous ! Je pense que tout a déjà été dit ou presque sur la qualité du breuvage. Rappelons tout de même que ce whisky est tout simplement très bon. C’est un incontournable du whisky japonais depuis de nombreuses années, toujours dans le hit parade des ventes. Il est arrivé en France à la Maison du Whisky à Paris à la fin de l’année 2000, déjà presque 18 ans qu’il continue de nous séduire. Pour ma part, je l’ai découvert en 2006 et c’était mon premier whisky japonais. On se souvient toujours du premier. Je l’ai parfois délaissé au profit de ses grands frères Yoichi et Miyagikyo aux comptes d’âge mais je ne l’ai jamais abandonné et encore moins oublié.
Le sujet qui me préoccupe aujourd’hui n’est cependant pas le contenu mais le contenant.

nikka whisky from the barrel

Nous avons tous été confrontés à l’épreuve de devoir nous servir un verre avec cette petite bouteille au col court et avouons-le, ce n’est pas toujours évident. A chaque fois, on en met un peu dans le verre et un peu à côté en se demandant si le concepteur n’aurait pas oublié d’intégrer une dimension plus grande dans son plan.
Et bien saviez-vous que tout cela n’est pas le fruit du hasard ou d’une erreur ?
C’est le résultat d’une longue étude menée de A à Z par un designer japonais :
Taku Satoh !
Personnellement, je lui trouve beaucoup de talent et je l’ai découvert il y a quelques années en m’intéressant au graphisme japonais et en achetant ce livre : JAPANESE GRAPHICS NOW !, publié en 2003 aux éditons Taschen et co-écrit par les auteurs Gisela Kozak et Julius Wiedemann dont voici un court extrait de la préface : « Remplis d’originalité et de fraîcheur, les meilleurs graphiques japonais d’aujourd’hui ont été réunis dans ce guide de l’esthétique contemporaine japonaise. Dotés d’une perspective unique, les japonais ont une manière de voir le monde qui a longtemps été une source d’intérêt pour l’esprit occidental… » Le bonus du livre dont est tirée l’histoire du design de cette petite bouteille est un DVD qui présente une vidéo des endroits les plus sympathiques de Tokyo, des publicités télévisées au Japon, des interviews de directeurs artistiques, réalisateurs et designers dont Taku Satoh.

Taku Satoh est un designer graphique né en 1955 à Tokyo au Japon. Il a d’abord étudié le design en arts appliqués et a ensuite travaillé dans une agence de publicité. Il possède beaucoup de cordes à son arc puisque son expérience s’étend du design à la direction artistique en passant par la publicité et le marketing.
Dans son premier travail en agence de publicité, il a souhaité s’investir avec ses propres idées sur l’amélioration du produit. A l’époque, les jeunes japonais n’achetaient pas de whisky et le whisky japonais n’avait pas la popularité qu’on lui connaît aujourd’hui dans le monde entier. Il n’est pas encore question à ce moment là du design de la bouteille From The Barrel mais de celui de la série des trois Pure Malt : Black, Red et White que nous connaissons tous.

Les deux paragraphes qui suivent sont extraits du DVD contenu dans le livre. Une vidéo en langue japonaise sous-titrée en anglais et traduite par mes soins avec l’aide précieuse de ma plus proche collaboratrice.

« Le design concernait un whisky pure malt. Je me suis complètement investi dans le design du whisky, et pas seulement dans les couleurs ou la forme de la bouteille. Mon projet incluait le développement complet du produit. En commençant par ce qui allait dans la bouteille, puis le nom, le volume et la forme de la bouteille et enfin la stratégie de communication. Je les ai abordés par une refonte totale du produit. Ce fut le premier emploi où j’ai tout vu prendre forme. J’ai d’abord étudié le design graphique, puis j’ai évolué vers le développement total du produit en trois dimensions. Cela comprenait l’étude de cas, la conception graphique et la création publicitaire. De nombreuses tâches entraient en jeu dans ce travail. J’ai vécu cette expérience pour la première fois, et je me suis demandé : « C’est quoi exactement le design ? » J’ai réalisé qu’en ce qui concerne le design des emballages, un projet ne concerne pas que l’aspect extérieur. C’est un type de design de communication. Avec ce travail j’ai appris que le packaging était un média important. J’ai aussi réalisé que le whisky n’était pas qu’une histoire de goût. Par exemple, l’histoire commence quand un client pénètre dans le magasin et voit le produit. Il le prend dans ses mains, le paie, le ramène chez lui, ouvre l’emballage, sort la bouteille, enlève le bouchon et le verse dans un verre. Ce moment et cette expérience sont totalement conceptualisés et planifiés. J’ai réalisé que ça, c’était du total design. L’idée du graphisme même a beaucoup changé, et mes horizons se sont élargis. Ce fut quelque chose d’amusant et je me suis intéressé à la conception dans la grande distribution. Le conditionnement constitue un problème pour la grande distribution. Les matériaux sont utilisés en grandes quantités pour chaque produit. Chaque année ce sont des centaines de millions de produits et des millions de boîtes. Cela signifie encore plus de déchets, et cela contribue aux problèmes environnementaux. J’ai découvert ce nouveau domaine avec ces contraintes importantes, et je suis devenu conscient des problèmes de la société. J’ai compris le lien étroit qu’il y avait entre le design et la société et j’ai senti que c’était un sujet dans lequel je voulais être impliqué. Dans le design de la grande distribution, j’ai commencé avec le whisky, puis dans la conception de produits cosmétiques, puis dans le design de restauration rapide. Le sens, l’intérêt et la responsabilité de la conception de produits de grande consommation m’intéressaient. Plus je travaillais, plus l’étendue de mes tâches devenait importante. Par exemple, un produit est créé. Si les ventes viennent à chuter, qu’arrive-t-il ensuite ? Ceci amène à une nouvelle mission. Devez-vous changer complètement le design ou refondre le design original ? Vous prenez conscience de l’image de marque. De cette façon la conscience du problème vous fait prendre beaucoup de nouvelles directions. J’ai aussi été soudainement appelé pour la conception d’un casse-croûte à 100 yens. L’emballage du casse-croûte devient un déchet tout de suite après avoir été acheté, ce qui est beaucoup plus rapide que pour le whisky ou les cosmétiques. Cinq minutes après avoir été acheté, l’emballage fini à la poubelle. Que pouvons-nous faire avec le packaging ? Il y a beaucoup de choses qui devraient être faites. La prise de conscience de ces nouveaux problèmes, les uns après les autres ainsi que de leurs solutions est le maillon entre les différents projets sur lesquels j’ai travaillé.»

« N’y-a-t-il pas également une profonde influence culturelle dans votre travail ? »

« Oui. Par exemple, il y a une culture de la nourriture au Japon. Après le whisky Pure Malt, j’ai réalisé la conception du whisky From The Barrel. Le From The Barrel a une forte teneur en alcool. Quel type de bouteille peut rendre attractif un whisky aussi puissant ? J’en suis arrivé à l’idée d’un petit flacon. Par exemple, il existe au Japon un plat typique de viscères de petits poissons salés que l’on mange accompagné de saké. C’est un plat très corsé qui a l’air délicieux quand il est mis dans un petit bol. Le même plat servi dans une grande assiette ne semblerait pas aussi bon. Un petit morceau de chocolat noir semble bon alors qu’un gros morceau ne sera pas aussi appétissant. Le chocolat n’est pas un met traditionnel au Japon mais il y existe une culture de la nourriture corsée servie en petites quantités. J’ai conçu le design du whisky autour de ce concept de petite quantité. La bouteille est carré avec un col très court.
Un long col permettrait d’en verser beaucoup plus. Mais le petit col était important pour rendre la bouteille plus petite, et donc rendre le whisky plus attractif. C’est donc ce que j’ai proposé. Mais les amateurs du whisky sont revenus et se sont plaints que c’était trop difficile de verser avec une bouteille à col court. Je leur ai alors raconté comment une tasse de saké japonais est remplie et re-remplie. Le saké est servi avec une carafe dans une tasse si petite qu’on a l’impression qu’il va déborder et se répandre. Observer et se demander si le saké va se répandre est agréable. Le temps consacré à remplir la tasse de saké est agréable. Et ramener la tasse de saké trop pleine à vos lèvres est aussi agréable. C’est facile de concevoir une bouteille dont le liquide peut se verser aisément sans déborder mais il y a cette culture du saké ici et peut-être aussi dans d’autres pays.
Je me suis expliqué au sujet de cette culture de la nourriture, et la bouteille à petit col a été lancée et a fait ses premiers pas. Le Japon a cette culture alimentaire très délicate. Peut-être que c’est inscrit dans les gênes. Je ne suis pas forcément conscient de mettre des éléments japonais dans mes designs, mais peut-être que mon travail de designer exprime la manière de penser d’une personne japonaise. »

Beaucoup de bouteilles ont connu des changements de forme au cours de leur histoire mais la forme de la petite bouteille de Nikka et son col court n’ont subi aucune modification depuis sa création. Ce petit col nous pose toujours autant de problèmes aujourd’hui quand il s’agit de se servir une petite goutte dans un petit verre, mais que c’est agréable… I want a dram !

nikka whisky from the barrel

NIKKA WHISKY FROM THE BARREL, blended whisky, 51,4 % vol.
La bouteille à petit col. Quand design et culture ne font qu’un.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
À consommer avec modération.